[Intrigue générale] Confidences

[SUJET PRINCIPAL]

Kaleth emmena Ysabelia un peu plus loin encore dans la forêt : ils parcoururent plusieurs dizaines de mètres supplémentaires côte à côte, avant que l'assassin ne leur trouve un tronc d'arbre, abattu au bas d'un talus. Vérifiant d'un œil machinal les environs, Kaleth revint rapidement s'asseoir sur l'écorce, et plongea son regard dans celui d'Ysabelia. Il resta un long moment ainsi, à la regarder, savourant le simple fait d'être seul avec elle. Doucement, il rapprocha sa main, et finit par lui saisir délicatement le bout des doigts, timidement, comme pour lui demander l'autorisation de faire quelque chose, comme s'il n'osait pas encore aller plus loin. Finalement, quelques mots finirent par franchir les lèvres de l'elfe, chuchotés dans cette langue qu'il avait tant haïe par le passé :

"Je voulais te demander... Je n'ai pas pensé, au début, et puis... après, ce n'était jamais le moment..."

Kaleth semblait vraiment ennuyé, il avait l'air persuadé d'avoir commis un impair. Les mots lui paraissaient difficiles à trouver, il perdait sa contenance coutumière. Finalement, fermant les yeux, il se tut quelques instants avant de les rouvrir, et de finir d'exprimer sa pensée :

"Est-ce que... est-ce que ce voyage t'a dérangé de quelque façon que ce soit ? J'ai peur de ne pas avoir pris garde à ton confort depuis le début, et..."

Nouvelle pause. Nouvelle hésitation. La main du maître assassin se referma sur celle d'Ysabelia, agrippant ses doigts délicats comme s'ils pouvaient lui donner l'inspiration pour dire ce qu'il avait à dire :

"Pour tout te dire... Je m'en veux de ne pas t'avoir accordé plus d'attention... et j'ai eu peur que cela ne remette en cause certaines choses..."

Les yeux gris de l'assassin exprimaient un malaise caractérisé : il était évident qu'il se sentait mal, et qu'il cherchait un réconfort, attendant désespérément qu'Ysabelia démente la réalité de ses craintes. De fait, il n'osait pas avoir un comportement plus familier et plus intime avec l'elfe, avant de se voir confirmer que leur relation n'avait pas été influencée par les conditions dictées par voyage imprévu. Un nouveau silence s'installa pendant quelques dizaines de secondes, avant que le cours de ses pensées le pousse à exprimer ses doutes une nouvelle fois, une tristesse à peine contenue dans sa voix :

"Je t'aime... mais je ne crois pas te mériter."

Je l'ai regardé, longtemps. Une éternité abîmée dans ses prunelles si tristes, qui scintillaient merveilleusement sous la lumière des étoiles. Une éternité perdue, à chercher les mots pour décrire mes sentiments. Une éternité quelque part entre le chagrin et le bonheur, à hésiter.
Un doute monstrueux venait d'envahir mon esprit : est-ce que notre histoire était possible ? Ou étais-je trop sensible, et lui trop désabusé ? Était-il trop fort, et moi trop fragile ? Trop différents ? Et enfin, étais-je capable de lui survivre ?

Je m'étais toujours posée cette ultime question, depuis que nos regards s'étaient croisés et que j'étais tombée follement amoureuse de Kaleth, maître de la Guilde de l'Ombre. Mais c'était maintenant que je réalisai. Combien de temps pouvais-je espérer vivre, avec lui ? Combien de temps, avant que je me blesse ? Combien de temps...?
J'étais terrifiée.
Kaleth ne pourrait pas me toujours protéger, et j'avais peur de ne pas supporter un climat de danger permanent. Je n'étais pas Lhunara : je n'avais ni son assurance, ni son courage de lionne ! D'ailleurs, je ne pu m'empêcher de penser que ma place dans le coeur de Kaleth aurait due lui revenir... Elle, elle avait les épaules. Moi, je n'étais qu'une jeune femme apeurée et trop amoureuse de plus fort que moi.
Kaleth était tellement, tellement merveilleux... Mais moi, étais-je que j'étais capable de surmonter mes peurs les plus secrètes, pour lui ?

"S'il te plaît, prends-moi dans tes bras..."

Alors, le regard du Maître Assassin s'embrasa tandis que, avec un merveilleux sourire, il m'attirait tout contre lui. Le sentir si proche m'apaisa, et ôta la chape de plomb qui pesait sur mon coeur depuis le début de notre périple. Je respirai, enfin.
Mes craintes s'estompèrent un peu en sentant ses bras cercler ma taille, cependant quand je me lovai contre son torse puissant à la manière d'un petit chat.
Le jeune elfe déploya alors les pans de sa longue cape, et les referma sur nous dans un geste protecteur.
J'étais en sécurité. Hélas, ma sérénité passagère s'envola vite.

J'ai fermé les yeux. Et j'ai alors songé que j'avais besoin de lui, pour vivre. Je n'avais pas le choix, je ne pouvais ni m'enfuir ni revenir en arrière. Et ce malgré le fait que je sois terrorisée par ce que l'avenir nous réservait. Il n'y avait que Kaleth.
Le Monde autour de nous n'était qu'une chanson triste, avec rien d'autre à dire... Je ne voulais pas retomber dans les méandres de la mélancolie et du chagrin, comme avant, comme tous les autres.
Je désirai vivre; vivre à en mourir. Si tel était le prix du bonheur, de Kaleth... Je me mis à trembler.

"Mes sentiments ne changeront jamais, Kaleth... je t'aime. Et si tu y croies, lorsque tu dis que tu ne me mérite pas, que je serais mieux sans toi, tu te trompes. J'ai besoin de toi, comme j'ai besoin de respirer..."

Ma voix déjà douce, basse s'étrangla sur les derniers mots. J'inspirai par saccades pour réprimer un sanglot, refoulant mes larmes avec peine. Je détestai ma peur, comme je me détestai d'être si humaine, si faible.
C'est alors que la main de Kaleth, jusqu'alors posée sur ma taille, vint frôler mon menton et m'obligea doucement à relever la tête vers lui. J'évitai son regard, au début, fixant son cou avec des yeux perdus; puis ce fut lui qui se pencha vers moi sans un mot et planta ses prunelles dans les miennes.

"Je te demande pardon, lui dis-je dans un souffle, après ce qui me sembla être une éternité de silence. Mon amour, j'ai peur de ne pas m'en sortir... je ne suis rien. On va me faire du mal, un jour ou l'autre; tu le sais... Tu ne pourras pas toujours me protéger.
Kaleth, je ne peux pas survivre..."

Kaleth sentit comme un poids peser sur son cœur lorsque Ysabelia évoqua la possibilité de sa disparition.
Une sourde fureur l'envahit à cette simple perspective, emplissant son corps d'adrénaline. Son regard gris recela soudainement autant d'éclairs qu'un violent orage d'été, et son indignation se ressentit dans chacune des fibres de ses muscles rigidifiés. Son visage se durcit, alors qu'il fixait Ysabelia d'un regard embrasé par la passion, et qu'il murmurait d'une voix grave :

"Cela, je ne le tolèrerais jamais. Jamais nous ne serons séparés. De toute éternité, je te le promet : je ne laisserais aucun être, mortel ou non, se dresser entre nous deux. Dusse-je défier la volonté des Seigneurs de Valinor, je ne t'abandonnerais pas."

Le feu qui couvait dans ses yeux diminua peu à peu, puis l'elfe ajouta, le visage adouci :

"Je t'aime trop pour ça."

Il l'enlaça de nouveau, tendrement, mais son esprit vagabondait déjà. Il était une légende, le mystérieux Grand Maître de la Guilde de l'Ombre, aussi insaisissable que le vent, aussi redoutable que la plus aiguisée des lames... Modèle pour tout assassin, exemple pour chaque espion, idole de tous les voleurs, un mythe avait pris forme autour de lui, entourant son nom d'une aura de respect, de crainte, et de doute quant à son existence. Parmi toutes les rumeurs qui pouvaient courir, il en était une qu'il appréciait beaucoup, c'était celle de son invulnérabilité. On disait de lui qu'il ne pouvait pas mourir, et il aimait cette idée. En effet, il était virtuellement immortel, n'étant vulnérable qu'aux blessures de la chair, qu'il était assez habile et prudent pour éviter. Mais protéger ceux qu'il aimait... voilà qui corsait plutôt la chose.

Une idée lui effleura l'esprit : la plupart des elfes avaient un véritable don pour les armes de tir. Il était évident qu'Ysabelia n'était pas faite pour le combat rapproché, et que la simple mention du combat la faisait frémir. Toutefois, il était très probable qu'elle soit douée d'un certain talent à l'arc, comme la majorité de son peuple. Auquel cas, Kaleth veillant sur son aimée et Ysabelia veillant sur lui, ils seraient plus fort... Virtuellement, se rapprocheraient de l'immortalité. Ensemble.

Sortant de son mutisme pensif, Kaleth prit la main de son aimée, avant de prendre la parole, d'un ton plein d'enthousiasme, murmurant à l'oreille de son aimée :

"Je sais ce que nous allons faire.

Chaque race dispose de prédispositions dans certains domaines. Les elfes, par nature, disposent notamment d'une affinité avec les arcs...

Je voudrais que tu essayes cette arme... Je suis convaincu que tu saurais la manier à merveille...

Veux-tu essayer ?"

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